La corrosion des ouvrages du fait du process n'est pas une cause étrangère

Écrit par Pascal Dessuet

Le simple fait que la corrosion des ouvrages trouve son origine dans un fait extérieur, en l’espèce le process industriel dont l’existence devrait être prise en compte par les constructeurs ne saurait être regardé comme une cause étrangère exonératoire de la RC décennale des constructeurs

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Une fois encore la prise en compte de la destination conventionnelle de l’ouvrage est sous-jacente : la destination spécifique de l’ouvrage supposait la prise en compte d’émanation de fumées corrosive provenant du process :

Cass Civ 3ème 13 juillet 2016 N° 15-19616

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu que l'Apave et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec les sociétés Aviva assurances, Technip France, Axa, Gagne, L'Auxiliaire, Strubat et Mutuelles du Mans assurances IARD, à indemniser la société Carbone Savoie, de les condamner, in solidum avec les sociétés Technip France, Axa, Gagne, L'Auxiliaire, Strubat et Mutuelles du Mans assurances IARD, à garantir la société Aviva assurances et de dire que la charge finale de cette condamnation incombera à l'Apave et à son assureur à hauteur de 20 % ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par des motifs non critiqués, qu'au cours d'un cycle de fabrication, les fours étaient refroidis par pulvérisation d'eau froide se transformant en vapeur d'eau, laquelle se combinait avec les émanations gazeuses de dioxyde de soufre pour former de l'acide sulfurique qui corrodait les éléments de couverture et de bardage et retenu que les constructeurs avaient une parfaite connaissance de ce phénomène, qui suffisait à expliquer la corrosion, ou qu'il leur appartenait de se documenter sur la question, la cour d'appel a pu en déduire, abstraction faite de motifs surabondants, que la nature du process industriel ne pouvait pas constituer une cause étrangère susceptible d'exonérer les constructeurs de leur responsabilité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, subsidiaire

 Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'Apave et son assureur, l'Association des souscripteurs du Lloyd's de Londres, in solidum avec les sociétés Aviva Assurances, Technip, Axa Corporate solutions, Gagne, l'Auxiliaire, Strubat et Mutuelles du Mans assurances Iard sous déduction de la franchise d'un minimum de 1.013 euros et d'un maximum de 6.080 euros indexée sur l'indice BT 01, à payer à la société Carbone Savoie la somme de 960.013,24 euros sous déduction des provisions payées en vertu des ordonnances de référé et du juge de la mise en état, et les intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2008 à hauteur de 116.326,14 euros, du 4 septembre 2013 pour le solde, d'AVOIR condamné in solidum l'Apave, et son assureur, l'Association des souscripteurs du Lloyd's de Londres, in solidum avec les sociétés Technip, Axa Corporate solutions, Gagne, Strubat et Mutuelle du Mans assurances Iard, sous déduction de la franchise d'un minimum de 1.013 euros et d'un maximum de 6.080 euros indexée sur l'indice BT 01, et la société l'Auxiliaire à garantir la société Aviva Assurances de la condamnation au paiement de la somme de 960.013, 24 euros sous déduction des provisions payées en vertu des ordonnances de référé et du juge de la mise en état et d'AVOIR dit que la charge finale de cette condamnation incombera à l'Apave et à son assureur l'Association des souscripteurs du Lloyd's de Londres, à hauteur de 20 % ;

 AUX MOTIFS (sur la cause étrangère) QUE lorsque l'article 1792 du code civil est applicable tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, que cependant, la responsabilité n'a point lieu si les constructeurs prouvent que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; que la cause étrangère ne peut être retenue que si les conditions de la force majeure, le fait d'un tiers ou de la victime sont démontrés ; que les sociétés Carbone Savoie et Graphtec France s'attachent à démontrer la faute des constructeurs, que toutefois, une telle démonstration est inutile en considération des dispositions de l'article 1792 du code civil qui viennent d'être évoquées, et dont il résulte que la charge de la preuve incombe aux constructeurs ; que selon les explications des constructeurs, la cause étrangère pourrait avoir les origines suivantes :

 1 - la rétention, au moins partielle d'information par le maître de l'ouvrage, sur les caractéristiques du process industriel, c'est-à-dire notamment sur la nature des émanations gazeuses émanant des fours ;

 que l'expert a pris en considération le CCTP Technip RP 5572 G 2005 011 du 30 octobre 1998 qui prévoyait une teneur en SO de 300 mg/Nm3, alors que les mesures du laboratoire Séchaud ont mis en évidence seulement une teneur de 175 mg/Nm3 (pièce n° 48 de Carbone Savoie - Graftech France) ; que selon l'expert, au cours d'un cycle de fabrication, les fours sont refroidis par pulvérisation d'eau froide, provoquant l'émission de vapeur d'eau qui se condense au niveau des tôles formant barrières à la vapeur, que lorsque certaines conditions météorologiques sont réunies, ce qui arrive fréquemment, la vapeur d'eau se combine avec les émanations gazeuses de SO2 pour former de l'acide sulfurique, substance hautement corrosive ; que la société l'Auxiliaire a consulté son propre expert, M Y... qui incrimine l'action combinée de deux autres polluants, à savoir d'une part le disulfure de carbone qui attaquerait le revêtement prélaqué des tôles, et d'autre part le cuivre qui provoquerait un processus de corrosion galvanique ; que la conclusion de son avis est formulée de la façon suivante : « les caractéristiques chimiques du disulfure de carbone permettent de retenir une dégradation de la couche de prélaquage de polyester par son action dissolvante et gonflante entraînant sa rupture dans les zones sous contraintes latentes, mettant à nu la couche de galvanisation sous-jacente » ;

« La présence de vapeurs de cuivre venant se condenser à la surface des tôles engendre un couple galvanique dans les zones découvertes de la couche de zinc, et qui provoque sa corrosion jusqu'à la destruction ponctuelle du métal mettant à nu l'acier sous-jacent qui subit à son tour une destruction progressive par un double processus de corrosion galvanique et d'attaque chimique » ;

que toutefois cet expert admet lui-même que les mesures du laboratoire Séchaud environnement n'ont mis en évidence que des teneurs extrêmement faibles de ces deux polluants, à savoir d'une part 0,008 mg Nm3 pour le cuivre gazeux et 0,096 mg Nm3 pour le disulfure de carbone, qu'il n'explique pas comment ces deux substances ont pu jouer le rôle qu'il leur prête à des concentrations aussi faibles et surtout, dans un laps de temps aussi court ; qu'encore de façon implicite, M Y... reconnaît que l'acide sulfurique a joué un rôle essentiel, ce composant étant responsable de l'« attaque chimique » mentionnée dans la dernière phrase de son rapport ; que les explications de M. Y... ne sont donc pas de nature à faire douter de la pertinence des analyses de l'expertise judiciaire ; que le laboratoire Séchaud a fait des mesures du 26 au 30 septembre 2006 simultanément en deux points situés à l'aplomb d'un four de graphitation sur un cycle complet de fabrication de 96 heures dans les conditions habituelles d'exploitation du site ;qu'encore selon ce laboratoire, les deux polluants majoritaires mesurés sont le dioxyde de soufre (SO2) et le monoxyde de carbone (CO), que les autres polluants mesurés présentent tous des concentrations extrêmement faibles, proches de la limite de la détection analytique, et notamment, le chlore et l'azote ; que, toujours selon ce laboratoire, seul SO2 pourrait contribuer au mécanisme de corrosion à l'origine du dommage, sous condition qu'il se combine avec de l'eau pour former de l'acide sulfureux (H2SO3) et ou de l'acide sulfurique (H2SO4) (page 14 du rapport d'expertise) ; que M Z... a analysé ces résultats, qu'il a donné les explications suivantes :

«Peuvent intervenir a priori dans la corrosion de l'acier les acides chlorhydriques, nitrique, et si l'hygrométrie de l'air le permet, un brouillard d'acide sulfurique si l'on admet que le dioxyde de soufre peut s'oxyder en trioxyde au cours de son trajet entre fours et toitures. Les acides chlorhydriques et nitriques sont à des concentrations faibles ; un brouillard d'acide sulfurique est plus à même d'expliquer les phénomènes de corrosion constatés » ;

que l'expert ajoute que la concentration en chlore et en azote dans les fumées est à la limite des possibilités de détection de sorte que M. Z... en conclut qu'ils ne sont pas à l'origine des phénomènes de corrosion constatés ; que l'expert expose en conclusion que la présence d'eau de condensation en sous face des tôles de toiture est un facteur prépondérant dans le processus de production d'acide sulfurique, qu'il relève cependant que l'équipe de maîtrises d'oeuvre n'ignorait pas ce phénomène du fait du process qui était parfaitement connu et du type de couverture ; que les constructeurs reprochent à Carbone Savoie de ne pas s'être expliquée de manière complète sur le process industriel qu'elle utilise, qu'ainsi, le laboratoire Séchaud pourrait s'être abstenu de rechercher certains composés susceptibles d'avoir une action corrosive importante ; que les parties ne produisent pas les pièces annexes du rapport d'expertise de M. A..., que toutefois, leurs conclusions relatent au moins partiellement la teneur du rapport du laboratoire Séchaud ; qu'il en résulte notamment que celui-ci a recherché outre les oxydes de souffre incriminés à titre principal, les oxydes d'azote, le disulfure de carbone, le cuivre gazeux, le chlore ; que les constructeurs qui critiquent le travail de l'expert judiciaire n'indiquent pas quels autres composés il eût été utile de rechercher ; que le protocole qui a présidé aux travaux du laboratoire Séchaud a été arrêté de façon contradictoire au cours des opérations d'expertise, de sorte que les constructeurs ne peuvent se plaindre d'éventuelles lacunes ; qu'en toute hypothèse, la production d'oxydes de soufre émanant des fours combinés avec celle de vapeur d'eau suffit à expliquer le phénomène de corrosion, que les constructeurs avaient une parfaite connaissance de ces données techniques, ainsi qu'il résulte de la circonstance relevée par l'expert qu'ils avaient décidé de poser des chéneaux en acier inoxydable, alors qu'un tel choix ne pouvait s'expliquer que par une la nécessité de se prémunir d'une corrosion très importante ; qu'en conséquence la nature du process industriel ne peut constituer une cause étrangère susceptible de les exonérer ;

 2 - le système de ventilation du hall de graphitation

 que la ventilation de la toiture est assurée à la base par des ouvertures appelées «louvres» et au sommet par une cheminée ouverte dans toute la longueur du bâtiment ; que l'expert a été interrogé par voie de dire sur l'efficacité d'un tel système de ventilation et s'en est expliqué dans les termes suivants :

«Le système de ventilation fonctionne, peut-être est-il insuffisant, mais il était illusoire de penser qu'il était à même de supprimer la condensation en sous face de la couverture » ;

Attendu qu'à supposer même que ce système de ventilation ait été imposé par le maître de l'ouvrage, les choix de celui-ci ont été acceptés sans observation par les constructeurs qui ne pouvaient ignorer les conséquences de la condensation des vapeurs acides » ;

qu'en conséquence la conception du système de ventilation ne peut servir de cause étrangère ; que ces explications doivent faire exonérer le maître de l'ouvrage de toute responsabilité (arrêt, p. 13 à 15) ;

 1°) ALORS QUE la responsabilité décennale n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'une cause étrangère exonératoire, l'arrêt retient que l'expert a conclu que la présence d'eau de condensation en sous face des tôles de toiture était un facteur prépondérant dans le processus de production d'acide sulfurique, et que l'équipe de maîtrise d'oeuvre n'ignorait pas ce phénomène du fait du process qui était parfaitement connu et du type de couverture ; qu'en cause d'appel les exposantes avaient cependant fait valoir qu'elles ne pouvaient avoir eu connaissance de la présence d'acide sulfurique dans le bâtiment dès lors que le maître de l'ouvrage n'avait pas indiqué, dans le cahier des charges, la présence de vapeur d'eau au dessus des fours au sein de l'atelier concerné, ni celle de vapeurs d'acides chlorhydrique, nitrique et sulfurique, et qu'il avait été nécessaire, dans le cadre des opérations d'expertise, de recourir à un sapiteur chimiste de très haut niveau, M. Z..., pour déterminer les interactions chimiques en jeu conduisant à l'élaboration des composés acides à l'origine du phénomène de corrosion ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si ces circonstances ne remettaient pas en cause l'avis de l'expert selon lequel les intervenants étaient informés de la présence d'acide sulfurique en sein du bâtiment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;

 2°) ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel, l'Apave et son assureur faisaient valoir que les recherches du laboratoire Séchaud avaient concerné exclusivement les polluants visés dans le cahier des charges et n'avaient pas porté sur les polluants non mentionnés, à savoir : acide chlorhydrique (HCL), acide nitrique (NH03) et acide sulfurique (H2S04) (conclusions d'appel, p. 25) ; qu'en retenant que les constructeurs n'indiquaient pas quels autres composés que ceux examinés par le laboratoire Séchaud il eût été utile de rechercher, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

 3°) ALORS QUE la responsabilité décennale n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence d'une cause étrangère exonératoire, l'arrêt retient que la production d'oxydes de soufre émanant des fours, combinée à celle de la vapeur d'eau suffit à expliquer le phénomène de corrosion et que les constructeurs avaient une parfaite connaissance de ces données techniques tel qu'il résulte de leur choix de poser des chéneaux en acier inoxydable ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si, comme le faisait valoir les exposantes, un tel choix résultait non pas de la connaissance du dégagement de fumées acides lors du process de graphitation, non mentionné dans le cahier des charges, mais de l'indication par la maîtrise d'ouvrage de la présence, en extérieur, de vapeurs de chlore, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;

 4°) ALORS, à tout le moins, QU'en statuant ainsi, sans répondre au chef précité des conclusions des exposantes faisant valoir qu'elles ne pouvaient avoir eu connaissance du dégagement de fumées acides lors process de graphitation dès lors que le maître de l'ouvrage n'avait pas mentionné dans le cahier des charges la présence de vapeur d'eau au dessus des fours au sein de l'atelier concerné, ni la présence de vapeurs d'acide chlorhydrique, d'acide nitrique ou d'acide sulfurique, éléments dont la combinaison était responsable de l'ambiance corrosive, et que le choix d'employer de l'acier inoxydable en partie basse de la toiture ne résultait pas de la connaissance du dégagement de fumées acides lors du process de graphitation mais de l'indication par la maitrise d'ouvrage de la présence, en extérieur, de vapeurs de chlore (conclusions, p. 35 et 36), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.