La RC au titre des dommages intermédiaires comporterait-elle une condition de siège?

Écrit par Pascal Dessuet

Le débat sur l’établissement de la RC au titre des désordres intermédiaires a été curieusement porté par les 1er juges sur un terrain qui n’est normalement le sien : le siège du désordre :

Lire en PDF : flash 2017 94.pdf

Le jugement rejeta l’action au titre des désordres intermédiaires à raison du fait qu’il avait son siège dans un élement d’équipement dissociable…, la Cour d’appel estima qu’il s’agissait au contraire d’un élement indissociable et la Cour de Cassation l’approuva… mais était ce vraiment le sujet ?

La RC au titre des dommages intermédiaire est une RC résiduelle, nous ne sommes plus dans le contexte de l’Arrêt Delcourt d’avant 1978, exigeant alors de satisfaire à une double condition -  la gravité et le fait d’avoir son siège dans un gros ouvrage - pour qu’un désordres soit de nature décennale, condition de gravité dont on pouvait partiellement s’affranchir via la RC au titre dommages intermédaire pour autant que le désordre ait son siège dans un gros ouvrage…

Il suffit pour se convaincre du cractère résiduel de relire l’Arrêt du 11 septembre 2013 à propos des éléments d’équipement dissociable « inertes » dont on estime qu’ils relèvent de la RC au titre des désordres intermédiaires…

Cass Civ 3ème 11 septembre 2013 N° 12-19483 FS-P+B RDI 2013 Obs P Malinvaud RDI 2013 p 536 et P Dessuet p 544 ; Pascal Dessuet RGDA 2014/1 p 37 ; Charbonneau Construction et Urbanisme Novembre 2013 p 9

Cass Civ 3ème 18 mai 2017 N° de pourvoi: 16-14964 Non publié au bulletin

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2015), que la société Unibail Rodamco a vendu à la Mutuelle des architectes français un immeuble dans lequel elle a fait réaliser des travaux de réhabilitation sous la maîtrise d'oeuvre de conception du groupement constitué par la société Babel, MM. X...et Y..., assurés auprès de la MAF, et la maîtrise d'oeuvre d'exécution de la société Arcoba, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Artelia bâtiment et industrie (la société Artelia), à laquelle a succédé, en cours de chantier, la société Z..., assurée auprès de la MAAF et de la société Sagena, aux droits de laquelle se trouve la société SMA ; que la société Olin-Lanctuit, aux droits de laquelle se trouve la société Bouygues bâtiment Ile-de-France (la société Bouygues) s'est vu confier le lot gros oeuvre et a sous-traité l'exécution des chapes à la société France entretien revêtements, assurée auprès de la MAAF ; que, son locataire se plaignant du délitement des chapes sous le revêtement de sol, la MAF a assigné son vendeur, les constructeurs et leurs assureurs en indemnisation ;

Sur les premiers moyens du pourvoi principal de la société Bouygues et du pourvoi incident de la MAAF, réunis, ci-après annexés :

Attendu que la société Bouygues et la MAAF font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il déclare prescrite l'action de la MAF en indemnisation des désordres relatifs à la chape, dit que les désordres ayant affecté les chapes constituent des désordres intermédiaires et condamne, in solidum, la société Bouygues et la société Z... à payer à la MAF une certaine somme à ce titre ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la chape n'était pas séparée du plancher béton par une couche de désolidarisation mais était intégrée, par mise en compression, à ce plancher auquel elle devait adhérer, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, a implicitement mais nécessairement déduit de ces éléments que la chape était indissociable du plancher dont elle ne pouvait être séparée sans détérioration ou enlèvement de matière et a légalement justifié sa décision ;

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait déclaré l'action de la MAF en indemnisation des désordres relatifs à la chape prescrite, d'avoir dit que les désordres ayant affecté les chapes de l'immeuble sis 16 rue Monceau à Paris 8ème constituent des désordres intermédiaires, engageant la responsabilité contractuelle de la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France et de la société Z... et d'avoir condamné la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France in solidum avec la société Z... à payer à ce titre à la MAF, maître d'ouvrage, la somme de 668 500 euros HT outre, sur justification par la MAF de l'acquittement de la TVA non récupérable, de la TVA acquittée sur les travaux exécutés ;

AUX MOTIFS QU'il est fait grief au jugement d'avoir écarté la qualification de désordres intermédiaires ; qu'à cet égard, les premiers juges ont indiqué que cette qualification ne pouvait s'appliquer à un élément d'équipement dissociable ; que plusieurs parties contestent que la chape ait constitué un élément dissociable ; qu'elles soulignent l'appréciation de l'expert contenu dans sa première note aux parties du 26 mars 2003 en ces termes : « les chapes mises en oeuvre sur les planchers béton existants de surface trop irrégulière pour recevoir directement des dalles plombantes, se décollent de leur support et claquent par flambage en produisant une fissuration aléatoire caractéristique », il « associe [ce phénomène] aux cisaillements, mal contenus au niveau du plan de collage, qui résultent de la mise en compression de la fibre supérieure des planchers dont la chape est devenue intégrante » ; que la cour retiendra qu'il n'est aucunement indiqué en l'espèce que la chape aurait été posée sur le plancher béton après mise en place d'une couche de désolidarisation, dont la présence aurait été de nature à retenir la qualification d'élément d'équipement dissociable au sens de la jurisprudence (cf. Civ. 3e, 26 novembre 2015, n° 14-19835) ; que, bien au contraire, la référence expresse à l'intégration de la chape dans le plancher par mise en compression supérieure des planchers telle que rappelée cidessus, permet de caractériser en l'espèce le caractère indissociable de la chape défectueuse, devenue intégrée au plancher ; qu'au surplus, il est établi que le désordre ayant affecté la chape a présenté un caractère généralisé, constaté sur les 7 niveaux de l'immeuble, pour une superficie de l'ordre de 2800 m ² de sorte qu'il convient de le qualifier de dommage intermédiaire susceptible d'engager la responsabilité contractuelle des constructeurs intervenus, en cas de faute prouvée ;