Le droit de la construction, un droit toujours en construction

Écrit par Pascal Dessuet

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Tribune  de Cyrille CHARBONNEAU, Docteur en Droit, chargé d'enseignement à l'université Paris I, et consultant

Voilà plus de trente-cinq ans que le droit de la construction connaît pour l’essentiel ses fondations de base, les textes régissant la matière. La réforme de 1978 a ainsi posé les jalons que les celles de 2005 et de 2008 n’ont fait que préciser. Au titre des difficultés de frontières liées à la Loi Spinetta, deux qualifications sont déterminantes : la réception et l’ouvrage.

C’est d’abord la question de la réception qui a été vue comme une frontière à définir ou à interpréter. Il est vrai que l’avant et l’après réception sont soumis à des régimes tout à fait distincts. L’avant réception reste ainsi sous l’emprise du droit commun de la responsabilité et donc pour l’essentiel du droit commun des assurances de responsabilité civile (hors considération des polices dédiées souscrites par le maître de l’ouvrage, PUC par le passé, TRC aujourd’hui). L’après réception est régi par les garanties légales en principe exclusives de toute application du droit commun. Reste que la simplicité du régime légal (une obligation de faire pesant sur le seul entrepreneur concerné au titre de la garantie de parfait achèvement et deux obligations indemnitaires alternatives visant à la réparation des désordres graves à l’ouvrage – la responsabilité décennale – et à celle des dysfonctionnements des éléments d’équipement de l’ouvrage – la garantie biennale de bon fonctionnement) a été, pour ce qui est des marchés privés de travaux, complétée par une responsabilité de droit commun après réception soumise à un régime propre (faute prouvée et prescription de dix ans à compter de la réception). Cette première frontière est encore à ce jour incertaine. L’admission de la réception tacite en a rendu la mise en œuvre pratique définitivement délicate. La question de l’unicité ou de la pluralité de réception pose une question moderne et pratique toutes les fois qu’il est nécessaire de distinguer plusieurs sous-ensemble dans le projet de construction (pluralité de bâtiments, parties communes-parties privatives, tranches…). Il n’est donc pas étonnant qu’en 2013, la question de la réception soit encore soumise à un contentieux intense jusque devant la Cour de cassation, qui opère sur le sujet un contrôle actif et des censures régulières.

Reste que la summa divisio ne réside pas à ce stade de la qualification. La réception, toute clé de voûte du droit de la construction qu’elle est, ne saurait être admise que si l’on raisonne sur la base d’un ouvrage immobilier. La notion d’ouvrage dessine en effet en amont de la réception une ligne de partage plus importante encore entre le pur droit commun des marchés de travaux, soumis aux seules règles de droit commun du contrat d’entreprise, et le droit spécial de la construction (C. civ., art. 1792 à 1792-7). Progressivement, la qualification d’ouvrage soulève un contentieux complexe favorisé par l’attitude de la Cour de cassation et la complexité factuelle de la question. Deux principes forts se dégagent. Le premier tend à l’admission élargie de la notion d’ouvrage. à l’évidence et dans l’esprit du Législateur, la notion d’ouvrage consistait dans la construction ex-nihilo d’un bien immeuble neuf. La jurisprudence a cependant étendu sensiblement la qualification en admettant que des travaux de rénovation, des travaux sur existant, des travaux de reprise, constituent, dans certaines circonstances, des ouvrages immobiliers. Elle a également estimé que des travaux de nature immobilière devaient relever de cette catégorie quand bien même ils ne consistaient pas vraiment dans la création d’un immeuble où se développe une activité humaine. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui constituent des ouvrages de simples voiries, des routes, des retenues d’eau, des barrages, des digues et même des tombeaux. Combinant critère de droit des biens (immobilisations) et analyse finaliste de la construction (altération d’une fonction de l’ouvrage à savoir classiquement le clos, la structure et le couvert et de manière plus moderne l’isolation phonique et thermique), la Cour de cassation opère un contrôle avéré de la notion d’ouvrage, bien au-delà des frontières d’origine. Le débat de l’ouvrage n’est pas clos. Le sera-t-il même un jour ? Il a été renouvelé profondément par l’Ordonnance de 2005 ayant développé une liste assez longue d’ouvrages immobiliers non soumis à assurance obligatoire (C. ass., art. L. 243-1-1). Il l’est encore de manière très récente par la « découverte » d’une catégorie nouvelle au sein de l’ouvrage même, l’élément dissociable non ouvrage.

Ces leviers essentiels de qualification (ouvrage et réception), et tant d’autres encore, restent en devenir. Leur mise en œuvre quotidienne n’est finalement pas, pas seulement, une question de juriste puisque l’étendue des obligations de réparation, comme de la couverture du risque par les assureurs, en dépendent. Le droit de la construction est une de ces rares matières où la question juridique intéresse au premier chef les acteurs de la construction. Chaque acteur du projet de la construction doit en mesurer le sens, alors même que les juristes spécialisés sont eux-mêmes parfois en difficulté pour dessiner les frontières délicates des qualifications. S’il est impossible de tout anticiper, il est possible et il est nécessaire, pour les juristes comme pour les autres acteurs, de s’intéresser régulièrement à l’évolution de ces questions qui déterminent la faisabilité des projets et les analyses de risques en cours d’exécution. L’ouvrage est en quelque sorte toujours en construction et la date de réception probablement impossible à déterminer.