Police PUC : la notion de travaux de bâtiment fait toujours partie de notre droit

Écrit par Pascal Dessuet

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Dans le cadre d’un marché public d’assurance, qui avait pour objet la souscription d’une Police Unique de Chantier (PUC), à propos de travaux dont la DROC est antérieure à la promulgation de l’Ordonnance du 08 juin 2005, la notion de bâtiment entendue au sens de « mise en œuvre de technique de travaux de bâtiment », demeure le critère d’éligibilité à l’obligation d’assurance.

CAA Douai 08 Octobre 2013 N° 12DA00416

1. Considérant que le groupement d'entreprises solidaires composé par la société ABB Alstom Power Combustion, aux droits de laquelle vient la société Constructions industrielles de la Méditerranée, et la société SGE Quillery Bâtiment, aux droits de laquelle vient la société Eiffage Construction Haute-Normandie, s'est vu confier par le syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'estuaire (SEVEDE) la réalisation et la mise en service d'une unité de valorisation énergétique des déchets ménagers et assimilés sur le territoire de la commune de Saint-Jean-de-Folleville ; que la société AGF, aux droits de laquelle vient la société Allianz Iard, et la SA Gras Savoye, son courtier, se sont vues confier le soin d'assurer, par une police unique de chantier, la construction de l'usine d'incinération des déchets ménagers ;

 2. Considérant que la société Allianz Iard et la SA Gras Savoye forment appel du jugement du 9 février 2012 du tribunal administratif de Rouen en ce qu'il les a condamnées solidairement à garantir le syndicat d'élimination et de valorisation énergétique des déchets de l'estuaire (SEVEDE) ; que le SEVEDE, par la voie de l'appel provoqué, demande l'annulation de l'article 3 du même jugement en ce qu'il l'a condamné à verser à la société Eiffage Construction Haute-Normandie la somme de 155 469,45 euros (HT) ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1792 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. " ; qu'aux termes de l'article L. 241-1 du code des assurances dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil à propos de travaux de bâtiment, doit être couverte par une assurance. A l'ouverture de tout chantier, elle doit être en mesure de justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Tout contrat d'assurance souscrit en vertu du présent article est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité pesant sur la personne assujettie à l'obligation d'assurance " ;

4. Considérant qu'aux termes de l'annexe I de l'article A 243-1 du code des assurances dans sa rédaction applicable au litige, concernant les clauses types que tout contrat d'assurance de responsabilité souscrit pour l'application du titre IV du livre II doit obligatoirement comporter : " Nature de la garantie (...) Le contrat garantit le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué, lorsque la responsabilité de ce dernier est engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil à propos de travaux de bâtiment, et dans les limites de cette responsabilité (...)";

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'obligation d'assurance pour couvrir le risque résultant de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil ne concerne que les travaux de bâtiment, à l'exclusion des travaux portant sur des ouvrages autres que les bâtiments ; qu'il y a lieu de considérer les " travaux de bâtiment " comme des travaux faisant appel aux techniques de travaux du bâtiment ; qu'en l'espèce, les travaux de réalisation des ouvrages de génie civil afférents à l'unité de valorisation énergétique de Saint-Jean de Folleville consistant en des opérations de terrassement, de remblais, de voirie et réseaux divers, de bâtiments, gros oeuvre, second oeuvre et finitions, de charpente, couvertures et bardages faisaient appel aux techniques des travaux du bâtiment et entraient, par suite, dans le champ de l'obligation d'assurance décennale ; qu'en conséquence, l'assureur était tenu de garantir l'ensemble des risques relevant de la responsabilité décennale des constructeurs ;

 6. Considérant que le SEVEDE a confié, par marché négocié avec la SA Gras Savoye, le lot 2 garantie " police unique de chantier génie civil ", pour un montant de 577 736 euros proposé par la société AGF, aux droits de laquelle vient la société Allianz Iard ; que l'article 6 de l'acte d'engagement, qui comportait une réserve expresse reprise à l'annexe n° 1 précisant pour les dommages ouvrage et responsabilité décennale que les garanties de base étaient la solidité et la stabilité à l'exclusion, notamment, de l'impropriété à destination, était contraire aux règles d'ordre public précitées du code des assurances ; que c'est dès lors à bon droit que le tribunal a estimé que la signature du contrat en cause révélait un manquement de ces sociétés de nature à justifier qu'elles garantissent intégralement le SEVEDE des condamnations prononcées à son encontre ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés Allianz Iard et Gras Savoye ne sont pas fondées à demander l'annulation du jugement en ce qu'il les a condamnées à garantir solidairement et en totalité le SEVEDE à hauteur de la somme de 155 469,45 euros (HT) ;

8. Considérant que, compte tenu du rejet de l'appel principal formé par les sociétés Allianz Iard et Gras Savoye contre le SEVEDE, la situation de celui-ci n'est pas aggravée par le présent arrêt ; que, par suite, les conclusions du SEVEDE tendant à ce que le jugement soit annulé en tant qu'il l'a condamné à verser à la société Eiffage Construction Haute-Normandie, notamment, la somme de 155 469,45 euros (HT), doivent être rejetées comme étant irrecevables ;

L’invocation du caractère d’ordre public de la clause type, peut surprendre, s’agissant d’un souscripteur qui n’est pas un maître d’ouvrage soumis à l’obligation d’assurance puisqu’il s’agit d’une personne publique, mais elle se comprend s’agissant du volet RC décennale couvrant les constructeurs personnes privées.

Il n’en demeure pas moins qu’il est étonnant de voir survivre cette acception ancienne du mot bâtiment aboutissant à intégrer dans la sphère de l’assurance obligatoire des travaux qui en sont exclus par l’Ordonnance de 2005, même si elle n’était vraisemblablement pas applicable à la cause puisque l’arrêt parle des clauses types dans leur rédaction alors applicables.

En effet, aux termes de l'article 5 de l’Ordonnance, « les dispositions du présent titre, à l'exception de celles de l'article 2 (qui institue l'article 2270-2 relatif à la prescription des actions contre les sous-traitants), ne s'appliquent qu'aux marchés, contrats ou conventions conclus après la publication de la présente ordonnance », c'est-à-dire après le 9 juin 2005.

Conséquences pratiques

L’éligibilité au régime de l’assurance obligatoire entraine l’application des clauses types et donc l’illégalité des stipulations de la police limitant les garanties à la réparation des désordres affectant la solidité, comme il est de pratique courante pour les travaux de génie civil.

Par conséquent l’assureur au titre d’une police unique de chantier, comportant un volet DO et un volet RC décennale, se trouve condamné à couvrir également l’atteinte à la destination pour des travaux de génie civil.

Si la garantie RC décennale n’avait pas été souscrite dans le cadre du marché public d’assurance concernant une PUC, mais souscrite directement par les constructeurs les juridictions administratives n’auraient pas été compétentes. Nul ne sait ce qu’aurait décidé les tribunaux de l’ordre judiciaire.