Un carrelage collé ne bénéficie pas de la garantie de bon fonctionnement

Écrit par Pascal Dessuet

La Cour de Cassation vient de procéder à un reclassement des responsabilités pouvant être mises en jeu à propos des désordres affectant les éléments dissociables de l’ouvrage.

Cass Civ 3ème 11 septembre 2013 pourvoi N° 12-19483 publié au Bulletin FS-P+B - Cyrille Charbonneau Responsabilité applicable à la réparation des désordres affectant le second œuvre : la fin d’un doute ? Bulletin d’Actualité Lamy Novembre 2013 – P  Malinvaud RDI 2013 p 536et P Dessuet p 544 ; Pascal Dessuet RGDA 2014/1 p 37 ; Charbonneau Construction et Urbanisme Novembre 2013 p 9

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Maisons Gradlon fait grief à l’arrêt de la condamner, in solidum avec M. Y..., à payer aux époux X... la somme de 20 267,54 euros au titre des travaux de reprise des désordres affectant le carrelage et la somme de 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance, alors, selon le moyen, que les éléments d’équipement dissociables de l’immeuble relèvent de la seule garantie de bon fonctionnement de deux ans, à l’exclusion de la responsabilité contractuelle de droit commun ; que dès lors, en écartant le moyen soulevé en appel par la coopérative Maisons Gradlon, tendant à voir déclarer forclose, sur le fondement de l’article 1792-3 du code civil, la demande des époux X..., et en condamnant l’entrepreneur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, cependant qu’elle constatait que le carrelage affecté de malfaçons était dissociable de l’immeuble, ce dont il résultait que l’action engagée par les époux X... relevait exclusivement de l’article 1792-3 du code civil et était donc forclose faute d’avoir été engagée dans les deux ans de la réception des travaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé l’article 1147 du code civil par fausse application et l’article 1792-3 du code civil par refus d’application ;

Mais attendu que la cour d’appel a retenu, à bon droit, que les désordres ne compromettant pas la solidité de l’ouvrage ni ne le rendant impropre à sa destination, affectant un élément dissociable de l’immeuble, non destiné à fonctionner, relèvent de la garantie de droit commun ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

Deux conséquences en matière de responsabilité:

- Seuls les désordres affectant des éléments d’équipement dissociables destinés à « fonctionner », sont désormais susceptibles d’engager la responsabilité des constructeurs et des promoteurs sur le fondement de l’article 1792-3 C Civ (Garantie de bon fonctionnement – Responsabilité présumé – durée 2 ans à compter de la réception).

Par a contrario, ce sont désormais tous les éléments inertes, faux plafonds, faux planchers, cloisons murales, gardes corps (en l’espèce il s’agissait d’un carrelage collé) et plus seulement les peintures, les moquettes et les revêtements muraux qui sont exclus de ce régime de responsabilité.

- Les désordres affectant les éléments inertes ainsi exclus relèvent désormais de la RC de droit commun au titre des désordres intermédiaires (RC pour faute prouvée 10 ans - durée à compter de la réception), sauf

s’ils compromettent aussi la destination de l’ouvrage, auquel cas la RC décennale pourra être engagée (RC Présumée - durée 10 ans à compter de la réception)

Dans la mesure où les  peintures, les moquettes ou les revêtements muraux sont aussi des éléments non destinés à fonctionner, la jurisprudence qui considéraient qu’ils n’étaient ni des éléments constitutifs de l’ouvrage, ni des éléments d’équipement et de ce fait non éligibles à la RC décennale, devient selon nous sans objet, sauf à considérer qu’au sein des éléments non destinés à fonctionner, il faille isoler trois éléments qui demeureraient soumis à un régime spécial crée de toute pièce en marge des textes.

Conséquences en matière d’assurance

- Même si les lots en question demeurent inclus dans les assiettes de prime, les réclamations dont les promoteurs et/ou les constructeurs seront l’objet au titre de tous ces éléments inertes ne seront plus pris en charge au titre des polices DO/CNR et RC décennale des constructeurs, sauf si le désordre compromet la destination de l’ouvrage dans son ensemble.

On observera à cet égard, que pour les trois catégories d’éléments, non destinés à fonctionner au sens donné par l’arrêt de 2013 à ce mot « Peinture revêtement muraux et moquettes » pour lesquels la Cour de Cassation avait très précisément décidé qu’ils ne pouvaient en aucun cas relever de la garantie de bon fonctionnement, dans le cadre de la convention de règlement inter assureurs adhérents à la FFSA, une recommandation a été rédigée[1], afin de ne pas s’opposer cette jurisprudence et à continuer de prendre en charge les désordres affectant ces éléments au titre de la garantie de bon fonctionnement.

Très concrètement cela signifiait qu’étant assurés de leur recours dans le cadre de la CRAC du fait de cette recommandation, les assureurs Dommages ouvrage n’opposaient pas la jurisprudence en question à leurs assurés et continuaient d’indemniser les désordres affectant les éléments non destinés à fonctionner dans les deux années suivant la réception, dès lors qu’ils étaient affectés dans leur fonction y compris décorative, puisque par définition, il s’agissait d’élements inertes et que la fonction principale d’une peinture ou d’un revêtement mural, à défaut de fonctionner, est de contribuer à l’esthétique de l’ouvrage.

Il convient cependant d’observer que dès lors que le recours s’inscrit dans un contentieux, la recommandation qui n’est pas une circulaire FFSA strito sensu, cesse ses effets.



[1] Circulaire de la Commission d’application de la Convention de Règlement assurance construction (CACRAC) N° 14/2001 du 12 décembre 2001 et N° 9.2012 du 22 mai 2012

 

Sauf à négocier avec son assureur le maintien de la garantie pour l’ensemble des éléments non destinés à fonctionner, comme cela existait jusqu’ici pour les peintures moquettes et revêtement muraux, au titre de la garantie de bon fonctionnement de la police Dommages Ouvrage ou de la police RC décennale, la réclamation ne pourra donc trouver de solution que dans la mise en jeu contentieuse de la responsabilité du promoteur et des constructeurs au titre de sa RC de droit commun pour faute et la mobilisation des garanties de la police RC Promoteur ou RC travaux, au titre des dommages intermédiaires, quand elle est couverte.

Ce point est à vérifier au cas par cas avec à terme un alourdissement de la sinistralité à ce titre, dès lors que la mobilisation de la garantie au titre de la RC de droit commun, à la différence de la garantie de bon fonctionnement suppose la démonstration d’une faute de la part du promoteur ou du constructeur, laquelle ne peut se faire que dans un cadre judiciaire.

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