Les mystères de la direction de la procédure

Écrit par Pascal Dessuet

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Le caractère non-décennal des désordres ne fait pas partie des exceptions auxquelles l’assureur est réputé renoncer en vertu de l’article L 113-17 C Ass lorsqu’il prend la direction de procédure pour le compte de son assuré.

Cass Civ 3ème  29 janvier 2014 N° de pourvoi: 12-27919 RDI Mars 2014 Note J Kullmann

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 septembre 2012), que la société civile immobilière Fouyssole a confié à M. X..., assuré auprès de la société Sagena, des travaux de rénovation et d'agrandissement d'une maison comportant notamment la pose de carrelage sur un plancher chauffant ; que M. X... a été chargé de la mise en oeuvre du sable et de la dalle en béton d'enrobage ; que des fissures étant apparues après réception, le maître d'ouvrage a assigné M. X... et son assureur en indemnisation de son préjudice ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de la demande en garantie formée contre la société Sagena, alors, selon le moyen :

1°/ que l'assureur qui a effectivement pris la direction d'un procès intenté à son assuré renonce aux exceptions qu'il pouvait lui opposer dès lors qu'il en avait effectivement connaissance au jour où il a pris la direction du procès ; qu'en retenant, pour écarter le moyen que M. X... tirait de la direction du procès par la société Sagena, qu'il lui était loisible de se faire représenter par son propre avocat, la cour d'appel a déduit un motif inopérant ; qu'ainsi, elle a violé l'article L. 113-17 du code des assurances ;

2°/ que les dispositions de l'article L. 113-17 du code des assurances ne sont pas limitées à la défense au fond de l'assuré mais concernent également les opérations d'expertise judiciaire qui sont ordonnées, fût-ce en référé, dès lors que l'assureur en prend la direction sans réserve, en toute connaissance des exceptions qu'il peut invoquer ; qu'en retenant, pour écarter le moyen que M. X... déduisait de la direction du procès et de la renonciation de l'assureur, que la société Sagena avait soutenu, en première instance, que la garantie décennale n'était pas applicable aux désordres affectant le carrelage et qu'il n'aurait pas renoncé à se prévaloir de son absence de garantie, sans rechercher si la société Sagena, au cours des opérations d'expertise, n'avait pas manifesté sa volonté de renoncer aux exceptions de garantie dont elle avait déjà connaissance en prenant la direction du procès devant l'expert sans émettre aucune réserve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-17 du code des assurances ;

3°/ que l'application de la responsabilité de droit commun aux lieu et place de la garantie décennale figure au nombre des exceptions de non-garantie auxquelles l'assureur renonce en prenant la direction du procès sans émettre de réserves ; qu'en relevant incidemment que l'assureur qui prend la direction du procès n'est pas censé renoncer aux exceptions afférentes à la nature des risques souscrits et au montant de la garantie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances ;

 

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que les exceptions visées par l'article L. 113-17 du code des assurances, en ce qu'elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques souscrits, ni le montant de la garantie et relevé qu'en première instance M. X... et la société Sagena avaient conclu, par le même conseil, au débouté des demandes du maître d'ouvrage au motif que les désordres allégués ne relevaient pas de la garantie décennale en ce qu'ils affectaient un élément dissociable de l'ossature de l'immeuble, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui a pu en déduire que la société Sagena n'avait pas renoncé à invoquer l'absence de caractère décennal des désordres, a légalement justifié sa décision ;

 

PAR CES MOTIFS

On le sait depuis l’arrêt rendu le 11 septembre 2013 : la catégorie des dommages intermédiaires est en pleine inflation, puisque tous les désordres affectant un élément non destiné à fonctionner, tel le carrelage collé par exemple, sont considérés par la Cour de Cassation comme ne pouvant plus relever de la garantie de bon fonctionnement des éléménts d’équipement, mais uniquement de la RC décennale ou de la catégorie résiduelle des dommages intermédiaires pour faute prouvée.

Par conséquent, il sera désormais de plus en plus fréquent de voir des procédures engagées en référé sur la dénonciation de fissure en carrellage par exemple, déboucher au fond sur des conclusions fondées tout à la fois sur la RC décennale et la RC de droit commun au titre des dommages intermédiaires.

 

Les assurés ne sauraient donc déduire du fait qu’un assureur, dont on a sollicité la garantie au titre d’une police RC décennale et non également au titre d’un volet de garantie couvrant les dommages intermédiaires, ayant pris la direction de la procédure et les ayant assisté tout au long de l’expertise, a pour autant renoncé à invoquer le jour venu le fait que les désordres n’entraient pas dans la définition des risques couverts par la police RC décennale seule visée dans la déclaration de sinistre.

Conséquence : Sauf à disposer d’une police RC couvrant à la fois les désordres décennaux et les désordres intermédiaires, un constructeur qui est assigné en référé pour des désordres affectant un ouvrage sur lequel il est intervenu, doit viser dans sa déclaration de sinistre les deux polices susceptibles de s’appliquer : celle couvrant la RC décennale et celle couvrant les dommages intermédiaires pour autant qu’elle existe...