Le point de départ de la prescription en RC de droit commun

Écrit par Pascal Dessuet

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Le point de départ de la prescription de droit commun  serait-il le fait lui-même ou désormais la condamnation à propos de ces faits ?

Le point de départ de la prescription de droit commun ne serait pas la date des faits à l’origine du dommage mais le prononcé de la condamnation judiciaire à propos de ces faits…en l’espèce une condamnation à démolir à la suite d’une infraction constatée 10 ans plus tôt.

Dans une affaire de défaut d’implantation ayant entrainée la démolition, la RC des constructeurs est recherchée en RC contractuelle de droit commun et non en RC décennale, sans doute parce que cette dernière se trouve prescrite au jour où les constructeurs sont recherchés après que la démolition ait été ordonnée plus de 10 ans après la découverte de l’infraction aux règles d’urbanisme… Curieusement la règle du non cumul n’est pas appliquée.

 

Cass Civ. 3e, 12 juin 2014, FS-P+B, n° 13-16.042

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 novembre 2012), que, le 29 mars 1988, M. X... a acquis un terrain et le permis d'y construire une villa ; que MM. Y...et Z...ont été chargés d'une mission de maîtrise d'œuvre complète et que MM. A...et B..., géomètres, sont intervenus sur le chantier dans leur discipline ; qu'une erreur d'implantation ayant été constatée, un procès-verbal d'infraction a été établi le 24 avril 1990 ; que la villa a été démolie courant novembre 2002 sans possibilité de réaliser une autre opération compte tenu de la modification des règles d'urbanisme ; qu'après expertise, M. X... a assigné les divers intervenants en indemnisation de ses préjudices ;

Attendu que pour rejeter les demandes, l'arrêt retient que l'acte matériel porté à la connaissance de M. X... étant la notification du procès-verbal faite le 16 mai 1990, l'action, diligentée plus de dix ans après cette notification, était prescrite ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la démolition de la villa pour méconnaissance des règles d'urbanisme n'avait pas été ordonnée par le juge pénal moins de dix ans avant l'assignation en référé du 12 septembre 2003, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS

La Cour de cassation opère une distinction entre la connaissance acquise d’un simple risque de dommage à raison de l’établissement du PV d’infraction intervenu en 1990 et l’établissement judiciaire de la réalité du dommage par la condamnation pénale à démolir, intervenu seulement en 2002.

Cette décision par la très large publication qui lui est réservée, semble éclairer l’interprétation future qui sera donnée par la Cour de Cassation du nouvel article 2224 du code civil qui dispose dorénavant que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

En l’espèce ce fait est constitué par l’erreur d’implantation et pourtant sous l’empire des anciens textes (art 2262 sur la prescription en matière de RC contractuelle puisque c’est 1147 qui est visé) et de la jurisprudence en cours qui prenait en compte comme date de point de départ de la prescription au titre de la RC contractuelle de droit commun Cass Soc 26 avril 2006 n° 03-47525 « la réalisation du dommage ou la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu connaissance. », (libellé très proche de l’actuel art 2224)

elle va reprocher à la Cour d’Appel de ne pas avoir répondu au pourvoi, en ce qu’il soulevait que la date à prendre en compte était en réalité la date de l’établissement judiciaire de l’infraction et non la simple connaissance des faits qui ont servi de base à l’établissement de l’infraction

Elle reprenait en cela une jurisprudence plus ancienne rendue cette fois en RC délictuelle sur le fondement de l’ancien article 2270-1 C Civil qui énonçait à l’époque en matière de responsabilité délictuelle que « les actions se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation » ce qui là encore n’est pas très éloigné de l’article 2224 actuel et où là encore, elle va opérer une distinction entre la réalisation des faits et leur consécration judiciaire pour considérer que la manifestation du dommage à prendre en compte, était en réalité le prononcé de la condamnation judiciaire à propos de ces faits et non les faits en eux-mêmes…

Civ. 2e, 10 févr. 2011, n° 10-11.775

Vu l'article 2270 du code civil applicable en l'espèce ;

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a édifié une véranda, après avoir obtenu l'autorisation du syndic de sa copropriété, le cabinet Espargillière ; que, le syndicat des copropriétaires, ayant demandé la démolition de cette véranda, a été débouté par un tribunal ; que par arrêt du 15 avril 2004, le jugement a été infirmé et la démolition ordonnée ; que M. X... a alors engagé la responsabilité du syndic et obtenu sa condamnation à lui payer une certaine somme ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action comme prescrite, l'arrêt énonce que, si à la date à laquelle est engagée une action en justice, le fait dommageable consistant en une condamnation n'est pas consacré, il n'en demeure pas moins qu'il est réalisé, en sorte que le défendeur ne peut prétendre que ce fait dommageable n'est pas réalisé et ne lui est pas révélé ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le dommage ne s'était manifesté à M. X... qu'à compter de la décision du 15 avril 2004 ordonnant la démolition de la véranda, la cour d'appel a violé les textes susvisés