L’acceptation des risques est exoneratoire de responsabilité

Écrit par Pascal Dessuet

Lire en pdf : flash 999991.pdf

Dès lors que les juges du fond établissent clairement que le Maître d’ouvrage a été dûment et préalablement informé par différents canaux, des conséquences de son choix, l’exonération de responsabilité au titre du fait de la victime est acquise :

Le principe est ancien, mais les cas d’application ne sont pas si fréquents.

 

 

Cass Civ 3ème 11 juin 2014 N° de pourvoi: 13-14785

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 28 janvier 2013), que la société Finamur, maître d'ouvrage, et la société Vital Ainé, maître d'ouvrage délégué exploitant une usine de biscuiterie, ont, lors de l'extension de cet établissement équipé d'un système d'assainissement par filtration, fait réaliser une installation de traitement des eaux usées industrielles par la société Ar Quo, architecte et la société STAT, entreprise assurée auprès de la société Axa France ; que, préalablement à la signature du marché, la société Ar Quo avait demandé une étude à la société IDE environnement qui a jugé inadapté un traitement par filtration et a préconisé divers systèmes, dont une filière par méthanisation, compte tenu de l'importance et de la nature des effluents ; qu'ayant refusé le devis, jugé excessif, de la société Vor pour une installation de méthanisation, la société Vital Ainé et la société Finamur ont décidé, malgré les réserves de l'entreprise sur le dimensionnement de l'installation qui lui était demandée, de passer le marché avec la société STAT qui avait proposé un devis pour une installation conservant un système de filtration ; que se plaignant de l'engorgement du lit de filtration et de contraintes d'entretien importantes, la société Finamur et la société Vital Ainé ont assigné les constructeurs en responsabilité et indemnisation ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Finamur et la société Vital Ainé font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir condamner solidairement les sociétés Ar Quo, STAT et Axa à leur payer une somme à titre de dommages-intérêts et de condamner la société Vital Ainé à payer à la société STAT une somme au titre du solde du prix des travaux, alors, selon le moyen :
1°/ que l'architecte ne peut sans commettre une faute, concevoir et accepter la mise en place d'une installation d'assainissement laquelle n'est pas conforme aux besoins du maître de l'ouvrage ni aux normes réglementaires ; qu'en exonérant l'architecte de sa responsabilité après avoir constaté que l'installation d'assainissement installée est incompatible avec le traitement des eaux usées industrielles générées par la société Vital Ainé sur son site de Martres, que la surface du lit installé est très largement sous-dimensionnée par rapport aux contraintes réglementaires de sorte que les critères de qualité du rejet dans le milieu naturel ne peuvent pas être atteints, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ qu'en exonérant l'architecte de toute responsabilité à l'origine de la conception et la mise en place d'une installation d'assainissement dont l'expert a constaté qu'elle est incompatible avec le traitement des eaux usées industrielles générées par la société Vital Ainé sur son site de Martres et dont la surface du lit installé est très largement sous-dimensionnée par rapport aux contraintes réglementaires de sorte que les critères de qualité du rejet dans le milieu naturel ne peuvent pas être atteints, sur la circonstance que le maître de l'ouvrage, industriel sensibilisé à ces problèmes d'assainissement pour disposer d'un pôle qualité et s'être plaint d'une fréquence de vidange trop importante des fosses de l'installation aurait choisi en toute connaissance de cause le devis de la société STAT puisqu'il disposait d'une étude et de préconisations particulièrement claires sur les différents systèmes, leurs avantages et inconvénients et adaptation au site en cause, informations circonstanciées lui permettant de comprendre parfaitement les problèmes posées et d'être informée de toutes les contraintes et que l'option retenue aurait été effectuée en toute connaissance de cause guidé par un souci d'économie, sans qu'il résulte de ses constatations que l'architecte qui avait validé le devis de la société STAT après avoir fait réaliser une étude technique par la société IDE, et auquel il incombait au premier chef de remettre cette étude à l'entrepreneur, avait clairement informé la société Vital Ainé, fabricant de biscuits et de madeleines dont il n'est pas constaté qu'elle était notoirement compétente en matière d'assainissement, des risques de non-conformité des rejets aux normes et des risques de colmatage de ces rejets se traduisant par des débordements fréquents sur lit d'infiltration, inhérents à l'installation conçue par la société STAT, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ qu'en ne s'expliquant pas ainsi qu'elle y était invitée, sur la responsabilité de l'architecte à l'origine du vice de conception de l'ouvrage qui était en tout état de cause sous-dimensionné dans la filière choisie, ce qui ne pouvait relever d'un choix de la société Vital Ainé mais des seules compétences techniques des professionnels qui avaient conçu l'installation en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

4°/ que l'architecte chargé de la surveillance de l'exécution des contrats de travaux est responsable à l'égard du maître de l'ouvrage, de l'absence du décolloïdeur prévu sur le plan de récolement des ouvrages ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que la société Vital Ainé, en possession du rapport de la société IDE environnement sur les différents systèmes, leurs avantages, leurs inconvénients et leur adaptation au site, avait écarté le devis établi par la société Vor pour un traitement par méthanisation pour lui préférer délibérément, malgré les réserves émises par l'entreprise sur le sous-dimensionnement de l'installation prévue, l'équipement proposé par la société STAT, utilisant un système de filtration comparable à celui qui ne lui donnait pas satisfaction dans son établissement actuel, la cour d'appel, qui a relevé que la présence d'un décolloïdeur ne permettrait pas de rendre l'installation conforme à son usage et que le maître d'ouvrage avait, en pleine connaissance de cause, accepté le risque d'un dysfonctionnement du système, a pu en déduire que la responsabilité de l'architecte ne pouvait être retenue ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé

 

Néanmoins, l’exonération ne sera pas acquise dès lors que le choix du Maître de l’ouvrage conduit le constructeur à ne pas respecter sciemment les règles de l’art. cf Cass Civ 3ème 21 mai 2014 N° de pourvoi: 13- 16855