Quelle est la loi applicable au constructeur étranger intervenant en France?

Écrit par Pascal Dessuet

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Le choix de la loi applicable dans le silence des parties quand le constructeur est étranger est une question souvent discutée alors même  qu’en matière de construction, les dispositions de la loi Spinetta soient d’ordre public

Cet arrêt nous fournit  exemple d’application de la loi française en l’espèce la loi Spinetta, sans recours à la notion de « loi de police » aux contours imprécis, alors même que le constructeur était suisse et que la marché était muet sur la loi applicable.

 

Cass Civ 3ème 23 septembre 2014 N° de pourvoi: 11-20972 11-23948

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 20 avril 2011), que la société Progilor, société française, a confié à la société Carnitec, société suisse, par contrat en date du 30 novembre 1993, la réalisation d'un ensemble de silos de stockage de farines de viande ; que la société Carnitec, assurée auprès de la société Nationale suisse assurances (NSA), a partiellement sous-traité les travaux à la société Reggiori chaudronnerie (société Reggiori), société française, assurée en garantie décennale par la compagnie d'assurances AGF (aujourd'hui dénommée Allianz Iard) ; qu'un sinistre est survenu sur l'ossature et le bardage des silos ; qu'après expertise, la société Progilor, aux droits de laquelle vient la société Soleval Nord Est (société Soleval), a assigné les sociétés Carnitec et Reggiori et leurs assureurs aux fins d'indemnisation de ses préjudices ;

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal de la société Carnitec, réunis, ci-après annexés :

Attendu, d'une part, qu'après avoir, à bon droit, retenu que selon la convention de Rome du 19 juin 1980, à défaut de choix de la loi par les parties, la loi applicable est celle de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique, sauf si une autre loi présente des liens plus étroits avec le contrat, la cour d'appel qui a relevé, par motifs propres, que les silos devaient être construits en France, de sorte que la prestation principale devait être exécutée en France, que la langue dans laquelle avait été rédigée la convention était le français, alors même que la société Carnitec avait son siège social en Suisse alémanique, que les prix étaient exprimés en francs français, que le contrat de sous-traitance entre la société Carnitec et la société Reggiori avait été soumis à la loi française, a pu, par ces seuls motifs, en déduire que le contrat présentant des liens plus étroits avec la loi française, celle-ci était applicable ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que l'essentiel du marché consistant à concevoir et édifier des silos devait être exécuté à Charny-sur-Meuse, la cour d'appel, qui a dit que la loi française était applicable, a pu retenir la compétence des juridictions françaises

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la loi française était applicable et d'avoir en conséquence déclaré la société CARNITEC responsable sur le fondement de l'article 1792 du Code civil ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la société CARNITEC prétend que la loi applicable au litige est la loi helvétique par application de la convention de Rome, en raison des liens plus étroits du contrat avec la Suisse ; que cette convention prévoit qu'à défaut de choix de la loi par les parties, la loi applicable est celle de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique, sauf si une autre loi présente des liens plus étroits avec le contrat ; que les silos devaient être construits en France, de sorte que la prestation principale devait être exécutée en France ; que la langue dans laquelle a été rédigée la convention est le français, alors même que la société CARNITEC a son siège social en Suisse alémanique ; que les prix sont exprimés en francs français ; qu'en outre, de convention expresse, le contrat de sous-traitance entre la société CARNITEC et la société REGGIORI a été soumis à la loi française ; qu'il convient dans ces conditions de considérer que le contrat présente les liens les plus étroits avec la loi française ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que la loi française était applicable au litige opposant la société CARNITEC et la société PROGILOR ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il sera rappelé que l'action intentée par la société PROGILOR vise, ensemble, son co-contractant, la société CARNITEC, mais également le sous-traitant de cette dernière, la société REGGIORI ; que le lieu d'exécution de la prestation principale de la société CARNITEC, vis-à-vis de son cocontractant, la société PROGILOR, s'est bien situé en France, pays avec lequel ce contrat avait manifestement les liens les plus étroits, que si le marché passé entre la société PROGILOR et la société CARNITEC ne comporte aucune clause attributive de juridiction, le contrat de sous-traitance passé entre cette dernière société et la société REGGIORI pour l'exécution d'une partie des travaux stipule expressément la soumission de ce contrat au droit français ; que la procédure diligentée par le maître de l'ouvrage à l'encontre de son fournisseur CARNITEC et de sous-traitant de celui-ci, la société REGGIORI, doit être soumis aux mêmes règles de droit, sans disjonction possible ; qu'en conséquence le Tribunal retiendra le droit français, comme applicable à l'ensemble de la présente procédure ;

1° ALORS QUE la présomption selon laquelle le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où le débiteur de la prestation caractéristique a son principal établissement ne peut être écartée que lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances propres à la conclusion et à l'exécution de ce contrat qu'il présente des liens plus étroits avec un autre pays ; qu'en jugeant que le contrat de maîtrise d'oeuvre liant la société CARNITEC, ayant son principal établissement en Suisse, à la société PROGILOR, de droit français, présentait plus de liens avec la France qu'avec la Suisse, dès lors que « le contrat de sous-traitance entre la société CARNITEC et la société REGGIORI a vait été soumis à la loi française » (arrêt p.6, §7 ; jugement p.9, §1), bien que cette circonstance fût étrangère au contrat en cause, la Cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de ROME du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

2° ALORS QUE la présomption selon laquelle le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où le débiteur de la prestation caractéristique a son principal établissement ne peut être écartée que lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances propres à la conclusion et à l'exécution de ce contrat qu'il présente des liens plus étroits avec un autre pays ; qu'en jugeant que la loi française devait s'appliquer au contrat conclu entre la société CARNITEC et la société PROGILOR dès lors que le contrat de sous-traitance stipulait que seul le droit français lui était applicable et que « la procédure diligentée par le maître de l'ouvrage à l'encontre de son fournisseur CARNITEC et du sous-traitant de celui-ci, la société REGGIORI, devait être soumis aux mêmes règles de droits, sans disjonction possible » (jugement p.9, § 1 et suivants), bien que le juge ait pu faire application aux contrats de règles distinctes et que seule la caractérisation de liens plus importants avec la France qu'avec la Suisse ait pu motiver la décision de la Cour d'appel de faire application du droit français, la Cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de ROME du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

3° ALORS QUE la présomption selon laquelle le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où le débiteur de la prestation caractéristique a son principal établissement ne peut être écartée que lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ; qu'en jugeant que le contrat de maîtrise d'oeuvre liant la société CARNITEC, ayant son principal établissement en Suisse, à la société PROGILOR, de droit français, présentait plus de liens avec la France qu'avec la Suisse, dès lors que « la langue dans laquelle a vait été rédigée la convention était le français » et que « les prix y étaient exprimés en francs français » (arrêt p.6, §7), bien que l'utilisation du français soit légitime en Suisse dont elle est l'une des langues officielles et qu'elle peut, ainsi que l'utilisation de la monnaie française, n'être motivée que par une courtoisie commerciale lorsque le contrat est conclu avec une société de droit français, la Cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de ROME du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

 

A noter qu’aux termes de l’article 3-1° du Règlement « Rome I », reprenant mot pour mot l’article 3-1° de la Convention de Rome, « le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ».