Quand la destination conventionnelle flirte avec la performance...
Écrit par Pascal DessuetCet arrêt offre une nouvelle illustration du fait que la destination de l’ouvrage n’est pas seulement définie « in abstracto », mais aussi par l’effet des conventions entre les parties au marché et qu’en cas de désordres rendant l’ouvrage impropre à satisfaire à cette définition subjective de la destination, la RC décennale est encourue.
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Cass Civ 3ème 04 mai 2016 N° 15-14671 15-18717
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2014), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 30 novembre 2011, pourvoi n° 10-18. 648) qu'en 2001, la société Air France a fait rénover les installations de climatisation de son centre informatique ; que sont intervenues à l'opération de construction la société Smart Building Engeneering (SBE), chargée de la maîtrise d'oeuvre et assurée auprès de la société MMA, la société Axima, titulaire du lot réseaux d'eau glacée et assurée auprès de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), la société Serc, sous-traitant de la société Axima pour les travaux de calorifugeage des canalisations d'eau glacée et la pose du pare-vapeur enrobant le calorifuge, assurée auprès de la SMABTP, et la société Socotec, contrôleur technique, assurée auprès de la société Axa France ; que la réception des travaux a été prononcée avec réserves le 25 juillet 2002 ; qu'en juillet 2003, des traces d'eau ont été constatées sur le pare-vapeur bitumeux enrobant le calorifuge ; qu'après expertise, la société Air France a assigné les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de la SMABTP et le moyen unique du pourvoi provoqué de la société Axima, réunis :
Attendu que la SMABTP et la société Axima font grief à l'arrêt de dire que les désordres avaient une nature décennale et de les condamner in solidum à indemniser le maître d'ouvrage, alors, selon le moyen :
1°/ que des dommages ne relèvent de la garantie décennale que s'il est certain que, dans le délai de forclusion de dix ans, ils revêtiront le caractère de gravité requis ; qu'en ayant caractérisé un simple « danger » de percement des tuyaux par corrosion qui « de manière évidente n'est pas immédiat », mais pourrait survenir « à moyen ou long terme », sans constater que ce dommage futur se réaliserait dans le délai d'épreuve de dix ans depuis la réception des travaux, alors même que la réception des travaux avait été prononcée en 2002, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;
2°/ qu'un désordre de construction ne peut être qualifié de décennal que s'il est suffisamment grave ; qu'ayant constaté que la diminution du coefficient d'isolation de l'immeuble était marginale, sans en déduire que le dommage de construction en résultant ne présentait pas le degré de gravité suffisant pour revêtir une qualification décennale, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;
3°/ que l'impropriété à sa destination d'un immeuble ne s'apprécie pas en fonction de l'investissement qui avait été fait pour le réaliser ; qu'en ayant apprécié l'impropriété de l'ouvrage à sa destination en fonction de « l'investissement » qui avait été fait et de la durée de vie consécutive qui était attendue de l'ouvrage, l'abrégement de la durée de vie de l'ouvrage caractérisant ainsi, selon la cour, une impropriété de celui-ci à sa destination, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;
4°/ que l'impropriété à sa destination d'un immeuble s'entend de son impropriété technique et non de son impropriété contractuelle ; qu'en ayant apprécié l'impropriété à sa destination de l'ouvrage litigieux en fonction de sa destination contractuelle, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la rénovation des installations de conditionnement d'air était destinée à augmenter la fiabilité du site gérant l'ensemble de la billetterie et des réservations de la compagnie Air France, à optimiser les coûts d'exploitation et à améliorer le confort thermique des occupants et que la présence d'eau dans l'isolant diminuait le coefficient prévu d'isolation du calorifugeage de l'ensemble de l'installation, la cour d'appel a pu déduire de ce seul motif que le désordre constaté par l'expert traduisait une impropriété à destination de l'ouvrage et présentait un caractère décennal ;